Depuis le temps que je posais la question : Pourquoi F'Murrr a t-il rajouté un "r" à ses premières signatures, passant ainsi de F'Murr à F'Murrr et enfin à F'Murrrr ?
J'ai trouvé une réponse dans cette interview de F'Murrr par Joëlle Smets, parue dans Le Soir Magazine du 3 juillet 2004. Voilà une réponse que je m'en vais envoyer à Michèle Baptist, ma prof de parapente, dingue de brebis parmi les dingues de brebis.
L'interview de F'Murrr ...
F’Murrr avec 3 ou 4 «r». L’homme au pseudo qui ne veut rien dire sort enfin de son silence. Après 5 ans de silence, F'Murrr est de retour avec un nouvel album du Génie des Alpages.
F'Murrr ... Son nom à lui seul est un poème. Il évoque un murmure, un bruit de source, à moins que ce ne soit un grognement. Mais quelles que soient les résonances de ce pseudonyme, c'est celui que choisit Richard Peyzaret, il y a 33 ans, pour rentrer au journal Pilote et dans le monde de la bande dessinée.
"J'ai choisi ce pseudo pour son graphisme mais pas pour sa signification. D'ailleurs il ne veut rien dire" dit F'Murrr, et je ne pensais pas qu'on aurait jamais à le prononcer. Mais peut-être ce nom me ressemble-t-il par la multiplication des « r » que je m'autorise.
- Je l'écris avec 3 ou 4 «r» en fonction de mes humeurs. Je ne sais jamais m'arrêter. C'est pareil quand je dessine et que j'écris, je travaille et retravaille encore pour apurer et arriver à l'essentiel. Aussi léger qu'ait été ce choix, il semble avoir porté chance à F'Murrr puisque l'auteur est aujourd'hui considéré comme un des grands créateurs de la bédé, un de ceux qui marque le 9e art d'une empreinte unique et loufoque.
F'Murrr, c'est ce mélange de rires et de larmes, d'humour et d'esprit critique, d'absurde et de tragique. L'humour peut être une réaction à la désespérance, une attitude philosophique,et une arme efficace pour critiquer notre monde qui devient de plus en plus lourd et ne nous épargne rien. "Je suis inquiet face à son évolution et notamment par rapport à la déréglementation qui n'est pas seulement économique."
Des débuts au journal Pilote
C'est en 1971 que F'Murrr, 25 ans à peine, un diplôme d'Arts appliqués parisien et des planches de bédés sous le bras, pousse la porte du journal Pilote pour présenter ses « Contes à rebours ». Le projet est bien accueilli et les gags sont publiés dans le célèbre journal jusqu'à ce que, deux ans plus tard, le grand maître Goscinny estime que la série s'essouffle et demande au jeune auteur de l'arrêter.
Je suis parti en vacances chez ma sœur dans les Alpes et j'y ai vu un type qui gardait des moutons, dit F'Murrr. J'ai commencé à imaginer les conversations qu'il devait avoir avec son troupeau.
Descendu de ses montagnes, l'auteur présente quatre pages de gags à Goscinny qui les accepte à la plus grande surprise de leur auteur. Le Génie des Alpages venait de naître et avec lui, une série qui deviendra mythique et aura son fan club et ses F'Murrr addict qui, sur le site crieur.com/, se définissent comme « une personne amie le Diois, de ses moutons et de ses verts alpages ... Proche de Mouillette, Serpillette et amoureuse de Romuald, bélier noir sur deux pattes à l'ego démesuré ... ». Et cela continue ainsi sur plusieurs pages !
On peut comprendre l'enthousiasme qu'a suscité le « Génie des Alpages» car F'Murrr s'y révèle d'une grande originalité et d'une superbe absurdité pour parler de la vie, de nos relations aux autres, de l'autorité, de l'Europe.
J'aime l'humour et raconter des histoires qui me font rire. Pour moi, une œuvre de fiction n'est pas complète s'il n'y a pas un moment où des choses drôles se passent. J’apprécie beaucoup la conception des romans chinois où, dans le même livre, vous avez à la fois du tragique et de l'humour.
Roman chinois et bédé française
La référence au monde littéraire n'est pas trompeuse car F'Murrr aime les mots et les phrases qui sonnent et résonnent. «L'homme, ce sourd congénital mais qui a hélas oublié d'être muet, l'homme nous administre sa poussive sagesse comme un médicament non répertorié par la sécu. Lui qui se préoccupe tant d'être remboursé du moindre de ses efforts », lit-on dans le dernier Génie. "Si on veut râler contre notre monde de façon efficace, il faut du doigté et user de la science de la langue. N'est pas polémiste qui veut." dit F'Murrr.
Dans les hauteurs des alpages, ce sont les brebis qui assument les rôles des râleuses et rouspéteuses réticentes au travail et à l'autorité. Quant à l'autorité, elle est incarnée par Athanase, le berger en qui, comme le dit F'Murrr, sommeille un Napoléon. Le chien n'est pas le brave animal que l'on croit car, l'air de rien, il ne fait rien.
Au fil des années, tout ce petit monde s'est agrandi et a connu le passage de personnages telle que Naphtalène la bergère qui aura droit à sa propre série. Tout comme F'Murrr entreprit au long de sa carrière d'autres aventures et nous offrit celles de Jehanne d'Arc, copine d'Attila et de Gilles de Rais. jeune fille paillarde portée sur la boisson et même sur les galipettes puisqu'elle aura un fils, Timofort, dont on découvre les aventures dans Tim Galère. On cite encore les excellentes aventures d'un chevalier raté, celles d'une Spirella mangeuse d'écureuils sans oublier l'évocation de l’invasion de l’Afghanistan…
Tout cela aurait dû vouloir de jolis prix à un auteur inventif qui pourtant ne les a point reçus. Mais à quoi bon finalement puisque F’Murrr a affirmé que s’il en recevait, il les donnerait à un SDF ou à quelqu’un qui en a vraiment envie.
Cela faisait cinq ans que l’on attendait un nouveau « Génie des Alpages ». En 1988, paraissait « Bouge tranquille » et depuis lors, plus rien, plus le moindre petit bêlement, ni la plus petite rebuffade ovine et philosophique.
« Normalement je sors un album tous les deux ans, dit F’Murrr. C’est le rythme qui me convient pour que je puisse travailler convenablement sur un album, le terminer, arrêter et recommencer quand l’envie me reprend. Mais là, j’ai connu quelques problèmes personnels et familiaux qui ont retardé le rythme habituel. »
Dans ce 13e et très attendu album, on retrouve notre bon et brave berger Athanase, toujours habillé de pulls délirants, son chien philosophe et toute sa bande de brebis contestataires. On revoit tout ce petit monde rencontrant cette fois une famille de belges
–« Oh, Jefke, des moutons. C’est ennuyeux, sais-tu, on va être mis en retard. », un fonctionnaire européen et zélé, un chien aboyeur, un aigle royal et un cadavre glacé. Et si on savoure souvent, et l’humour et le graphisme, on reste parfois sur sa faim.
Joëlle Smets (paru dans Le Soir Magazine n°3758 du 3 juillet 2004)
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