Fête de la Transhumance à Die

Die_fete_transhumance C'est vrai qu'en débarquant à Die pour 4 jours à l'ocassion de la fête de la transhumance, qu'en logeant dans la chambre d'hôte d'amis belges installé dans la vallée de Quint à quelques kilomètres de Die, je n'avais pas perçu tous les aspects de cette fête. C'était pour moi l'occasion de souffler quelques jours, de me plonger dans le monde du génie des alpages, de me balader sur les plateaux du Vercors et avec un peu de chance d'effectuer un petit un vol en parapente.

Voici un article qui permet de mieux comprendre l'histoire et les différents aspects de la fête de la transhumance.

Introduction

Le patrimoine rural, du fait de l’intérêt croissant dont il est l’objet, est aujourd’hui au cœur de la réflexion concernant la reconversion, l’aménagement et le développement des territoires ruraux. La valorisation de ce patrimoine constitue une voie d’avenir pour le développement local. Elle fait même désormais partie des stratégies qui sont au cœur des luttes de concurrence entre territoires.

Depuis le moyen âge , la recherche de nouveaux pâturages amène des troupeaux de moutons depuis la Provence (la Crau) vers le Diois. Cette tradition, qui reste aujourd’hui un élément majeur de la conduite d’élevage, a donné naissance, en 1991, à la fête de la transhumance de Die, une fête populaire attirant un nombre croissant de visiteurs. L'initiative est venue d'acteurs culturels, dans une situation où l'élevage ovin transhumant se trouvait fortement désorienté à côté d'un élevage sédentaire, plus capable de résister à des conditions de marché fortement contraignantes. Une action culturelle en faveur de l'élevage transhumant trouvait donc des justifications vitales. A travers son image, c'était tout l'élevage ovin de la région qui pouvait être tiré en avant et, avec lui, l'économie de la zone.

Le but de cette manifestation à caractère culturel est donc de faire connaître un patrimoine rural local afin de soutenir l’élevage ovin et d’améliorer l’attractivité du Diois, qui vit en grande partie du tourisme.
Pour comprendre le succès de ces manifestations, il est d’autre part utile de les replacer dans le cadre des nouvelles relations qui sont en train de se développer entre les agriculteurs et le grand public. Les sociologues les caractérisent globalement comme le besoin des « urbains » de revitaliser, à travers le contact avec l'agriculture et le monde rural, leur lien distendu avec la nature, lien qui s'exprime dans de multiples domaines : l'alimentation et la santé, mais aussi la gastronomie, le cadre de vie, les loisirs, l'environnement… Ainsi, ce qui fait le succès économique et social de la fête auprès du public, c'est la forme particulière d'utilisation de l'espace qui est liée à la transhumance, le rôle joué par l'agriculture dans le cadre de vie et de loisirs.

Mais, même si ce sont les aspects de services qui plaisent au public, l'activité productive en elle même peut y trouver son compte. C'est ce à quoi sont attachés les éleveurs locaux.

Ce dossier a pour objet d’étudier les nouvelles relations entre patrimoine, monde agricole et société, et de comprendre en quoi une pratique traditionnelle agricole peut avoir une incidence sur le développement d’un territoire.

Dans cette perspective, nous essaierons, dans un premier temps, de comprendre les différentes facettes de la fête et les relations qui se nouent entre les acteurs. Dans un second temps, nous verrons en quoi l’on peut considérer la transhumance comme un patrimoine et quelles sont ses incidences sur le développement du territoire. Enfin, nous nous interrogerons sur les clés du succès de ce type de manifestation et sur les bénéfices que peuvent en tirer les éleveurs.

1 / La naissance d'une fête patrimoniale : hésitations entre culture et agriculture

La fête de la transhumance est née à Die en 1991. Dans une région difficile et reculé, l’élevage ovin et la transhumance sont des éléments de l’identité locale. Par la création de la fête, ils sont aujourd’hui mis au service du développement touristique du territoire. Nous allons voir comment est née cette initiative et comment elle se perpétue depuis.

1.1 / Le territoire : un pays montagnard difficile

Le Diois, situé dans les Préalpes moyennes, correspond, au sens unité géographique, au val de Drôme. Adossé au Vercors, c’est avant tout un pays montagnard difficile, et les altitudes moyennes varient entre 600 et 1000 mètres. Les routes sont sinueuses, avec des déclivités parfois très fortes. Le territoire ne communique aisément qu’avec la vallée du Rhône à l’Est et reste fortement enclavé en amont de la Drôme.
Sur les versants montagnards pousse une forêt de pin. Les bas fonds sont occupés par la lande subméditerranéenne, appelée parcours à mouton.

On accède par des cols aux hauts plateaux, où l’on découvre de vastes aires de pâturages désolés. La végétation y rappelle la pelouse d’altitude et les arbres sont généralement rares. C’est une terre adaptée à l’élevage ovin, qui existe aussi loin que l’on remonte dans le passé. Aujourd’hui, cet élevage est toujours très présent, avec un cheptel qui avoisine les 25 000 brebis, réparties dans 250 exploitations, dont 1/5 ne vivent que de l’élevage.

L’augmentation de la taille du cheptel par exploitation implique aujourd’hui la pratique de l’estivage, avec l’association des éleveurs en groupements pastoraux, qui permet d’embaucher un berger durant l’été.

A cette estive s’ajoute la transhumance des troupeaux en provenance de Provence. La partie Sud Est du Vercors est classée parmi les secteurs de transhumance intense. Cette zone fait partie du Parc Naturel Régional et de la réserve naturelle des hauts plateaux. Entre 1 400 et 2 000 mètres d’altitude, seul le mouton peut tirer profit de ses pâturages.

Mais le Diois est aussi un pays, au sens de territoire vécu. La vallée se compose de cinquante-deux petites communes , peu équipées, formant un réseau centré sur la ville de Die. Celle-ci compte plus de la moitié de la population et assure l’essentiel des services élémentaires : enseignement, médecine, commerces… et compte un peu plus de 10 000 habitants.

Le Diois a connu un fort exode rural au cours des dernières décennies, avec une diminution de 60 % de ses habitants. Le déclin démographique s'est enrayé depuis 1982 : +1,9% de population entre 1982 et 1990, et +4,4% entre 1990 et 1999. Le solde naturel demeurant négatif, l'évolution de la population est uniquement due au solde migratoire, avec 600 personnes accueillies sur le territoire au cours de cette dernière décennie.

La vague de mai 68 a drainé un nombre important de néo ruraux apprentis paysans, dont beaucoup ont échoué. Ceux qui sont restés ont été porteurs d’un dynamisme nouveau, particulièrement dans l’élevage caprin, ovin et les plantes aromatiques. Ces nouveaux venus ont également eu un rôle culturel. Amenant avec eux les habitudes urbaines, ils sont à l’origine de la renaissance d’un cinéma d’art et d’essai, d’une librairie de qualité, de manifestations culturelles originales, comme la fête de la transhumance ou le festival Est Ouest.

C'est au tourisme que revient le rôle de locomotive économique. Il est conforté par les atouts du territoire : agriculture diversifiée, sites naturels (dont le PNR du Vercors), patrimoine historique et religieux, notoriété de la Clairette de Die… Parmi ces atouts figurent en première ligne les manifestations agri-culturelles, dont la fête de la clairette et la fête de la transhumance. C’est cette dernière que nous allons étudier ici.

Le Diois, comme les autres zones où se déroulent ce genre de manifestations , est une zone en reconversion en raison du déclin des activités agricoles, marginalisées par rapport à la production agricole industrialisée, et qui s’oriente vers une pluralité des fonctions, majoritairement orienté vers le tourisme.

1.2 / La fête de la transhumance, une initiative culturelle source de conflit

La spécificité de la fête de la transhumance de Die est d’avoir été imaginée par des opérateurs culturels. Dans la fin des années quatre vingt, au parc naturel régional du Vercors, des élus et des scientifiques initièrent un projet précurseur dans son contenu et sa formulation : « patrimoine et développement ».

Ce projet bénéficia de subventions interministérielles importantes. Il avait pour but de présenter à la population le patrimoine local tel que les routes, le bois, le reconstruction de la Chapelle en Vercors, à travers des publications, spectacles et 3 écomusées. Le projet mourut en 1989, pour cause de mésentente entre les élus.

Sur les bases de cette expérience, l’Association des éleveurs Ovins Transhumants du Vercors , des anciens salariés du parc, avec l’aide du musée dauphinois, lancèrent en 1990 l’idée d’une fête de la transhumance. La première édition eut lieu en juin 1991. La motivation des créateurs était de revivifier et de rendre compréhensible aux yeux du public cette activité de transhumance, de montrer la richesse des savoir-faire pastoraux et ainsi de multiplier le nombre de ses défenseurs et d’inventer les moyens de le garder vivant. Die, situé au cœur d’une zone de grandes transhumances, rassemblait les conditions favorables à l’accueil d’une telle manifestation.

Lors de la 1ère édition, la fête réunit l’ensemble des éleveurs impliqués dans la transhumance, ceux de Provence qui conduisaient les troupeaux et les locaux, qui animaient les aspects techniques. Après 2 années d’existences, les organisations professionnelles locales (Fédération Départementale Ovine) se sont retirées, car elles ne se retrouvaient plus dans le contenu de la fête.

A l’origine de ce départ, la confrontation entre les 2 types d’élevages : le transhumant et le sédentaire. Il faut, pour mieux comprendre la scission, rappeler qu’il y a toujours eu des conflits autour des transhumants. Les éleveurs locaux sont en général hostiles, car ils voient dans la transhumance une concurrence concernant les alpages et une source de problèmes sanitaires (notamment à cause de la Brucellose).

Cette hostilité est, également, peut être à relier à un sentiment d’infériorité de ces éleveurs dont les troupeaux ne dépasse pas 300 brebis, face aux troupeaux de plusieurs milliers de têtes des transhumants. Par ailleurs, il semble que les locaux ne se soient pas reconnus dans l’image que les médias ont donné, et qu’ils ne se sentaient pas valorisés. Selon Jean Claude CRISTOPHE, un éleveur du Diois pratiquant l’estivage : « la fête a commencé dans un climat de guerre.

La FDO aurait voulu s’accaparer la fête, notamment dans un but de revendication syndicale, sans se rendre compte que ça n’intéressait pas les spectateurs. Elle n’acceptait pas le côté culturel de la manifestation et les jeunes éleveurs refusaient de défiler, pensant qu’ils ressembleraient à des singes devant le public. C’est donc les anciens bergers qui ont pris leur rôle ».

Les éleveurs transhumants, eux, ont souhaité que la fête soit reconduite chaque année. Ils ont compris que le public venait pour le spectacle du défilé des troupeaux et qu’il n’était pas aisé de parler des problèmes qui pèsent sur la profession. La fête leur permet, aujourd’hui, de montrer qu’ils sont là et leur fait prendre conscience avec fierté de leur rôle social.

A l’époque, l'organisation de ces manifestations met les éleveurs locaux et leurs organisations devant un ensemble de problèmes nouveaux. L'exploitation de l'actif culturel dont ils sont détenteurs rompt avec les préoccupations exclusives de la filière et du marché. Elle implique de leur part une réflexion sur leur métier, l'ouverture à de nouvelles compétences, l'apprentissage de relations avec des partenaires d'horizons différents, qui prendra quelques années.

Aujourd’hui, la FDO a un rôle majeur dans l’organisation de la manifestation dont le contenu reste majoritairement orienté vers des aspects culturels très large concernant les sociétés pastorales.

1.3 / Le concept : entre culture et agriculture

Après les difficultés du début, la fête est aujourd'hui rodée et tous les acteurs ont trouvé leur place. La transhumance est d’abord un élément d’identité fort. Elle est un actif professionnel pour les organisations professionnelles et un actif patrimonial pour les acteurs culturels. Même si ce n’est pas une manifestation agricole, le temps fort est de voir les troupeaux traverser la ville de Die. Nous pouvons, d’un côté, y découvrir une profession et son savoir-faire. Y sont associés les aspects culturels du cinéma, du théâtre, de l’écriture, de la poésie et de la musique.

Lors de la 1ère fête, une veillée a rassemblé plus de 3 000 personnes autour du grand troupeau transhumant de M. LEMERCIER, en provenance de la Crau. Un concours d’élevage, une foire aux produits régionaux, une exposition du Musée dauphinois assortie d’une publication, des projections de films et un bal étaient proposés.

En 1992, s’y ajouta un colloque international « l’homme et le mouton dans l’espace de la transhumance », ainsi qu’un concert de musiques pastorales et une exposition sur les bergers. Au fil des ans, la fête se transforme, composée d’une partie fixe, et d’une autre nouvelle.

Les lignes directrices sont aujourd’hui des rencontres studieuses autour de l’élevage et la viande, un salon du livre (intitulé la Méditerranée des livres), un défilé des troupeaux à travers la ville, un grand marché, des repas partagés à l’extérieur.

Elle a notamment pour objectif de couvrir l’ensemble du bassin méditerranéen, et d’aller même plus loin . Ainsi, chaque année, un pays est mis en vedette et forme le fond musical de la rencontre.

D’initiative culturelle, cette fête est finalement née de l’association de trois catégories de compétences. Elle associe d’abord les professionnels, qui veulent expliquer leur métier et leurs difficultés, mais aussi d’autres opérateurs comme des scientifiques (historiens, ethnologues, linguistes, zootechniciens…) et des opérateurs culturels, médiateurs qui mettent en œuvre les moyens permettant la communication, l’adhésion du public...

Les éleveurs et leurs organisations disposent des éléments du contenu et les opérateurs culturels maîtrisent, eux, les méthodes de présentation.

Elle s’adresse à un public assez ouvert, composé des locaux et d’une population plus large dans le cadre du tourisme de proximité, mais aussi de milieux culturels et médiatiques régionaux et nationaux, de sensibilité écologique et anthropologique. Enfin, par médias interposés, cette manifestation possède une audience plus large encore, de niveau national, voir international.

La structure porteuse du projet est une association nommée « Drailles, patrimoine et développement ». Les Drailles sont les chemins qu’empruntaient les troupeaux. Le but de l’association, bien illustré dans la dénomination, est la mise en valeur du patrimoine naturel, culturel, social et économique, dans des actions de développement (cf annexe n°1).

Les financements ont également une double origine, puisqu’ils sont liés à la fois à la culture et à l’agriculture. Sur un budget total d’environ 100 000 euros, l’autofinancement est de 30 % et le reste provient de subventions diverses (Europe, Région, Département, PNR, Ministère des Affaires Etrangères).

Ainsi, à Die, la situation est complexe car la transhumance y est d’abord un élément identitaire fort : elle est à la fois un actif patrimonial pour les opérateurs culturel et un actif professionnel pour les organisations professionnelles.

2 / Quel patrimoine pour quel développement ?

2.1 / La fête de la transhumance : entre tradition et invention

En matière de patrimoine, pendant longtemps, l’intérêt s’est exclusivement porté sur les grands ensembles architecturaux, tels les églises et châteaux, ainsi que sur les œuvres d’art.

En 1964, la création de l’inventaire général des monuments et richesses artistiques de la France par André MALRAUX donne une nouvelle conception, plus large, du patrimoine : « toute œuvre dont le caractère artistique, archéologique ou historique permet de considérer qu’elle est un élément du patrimoine artistique Français ».

La notion de patrimoine s’étend alors progressivement, pour arriver à tout ce qui concerne la mémoire collective, le reflet du passé. Ainsi, une grande partie des objets qui se rapporte à la ruralité sont désormais promus au rang de patrimoine. Des vieilles pierres, la notion de patrimoine s’ouvre à tous les champs des activités humaines, de l’entreprise industrielle aux produits de terroir, en passant par le paysage, le milieu naturel… Tout peut être regardé sous une angle patrimonial.

La première fête de la transhumance, en 1991, devait s’inscrire dans une opération initiée par le ministère de la Culture, intitulée « mon patrimoine », au même titre que la réhabilitation des vitraux de Chartres ou de la mise en valeur des églises baroques de Savoie… Cependant, le ministère n’étant pas convaincu du caractère patrimonial, attribua les subventions mais refusa, par peur du ridicule, la mention « mon patrimoine ».

La fête fut une grande réussite et chacun comprit que la transhumance et les savoir-faire pastoraux n’étaient pas du domaine du folklore passéiste, mais bien le résultat d’un travail particulier, des efforts de générations d’éleveurs et l’aboutissement de siècles de sélection et de savoir faire.

On peut aujourd’hui affirmer que les savoir-faire pastoraux relèvent à part entière du domaine du patrimoine rural. On peut classer le patrimoine rural en plusieurs catégories : les éléments bâtis, les éléments naturels (paysages) et les éléments sociaux ou ethnologiques, recouvrant un ensemble de savoir-faire et de modes de vie. La transhumance contient un peu des 2 derniers aspects : C’est à la fois un savoir faire, celui du berger, mais également une manière d’entretenir et de façonner les paysages.

Le Diois est, et a toujours été, un secteur de transhumances intenses : aujourd’hui, environ 25 000 bêtes montent sur les hauts plateaux à l’arrivée de l’été. Les anciens se souviennent bien d’avoir toujours vu les bêtes passer dans les rues du village. En cela, la fête n’a pas été créée ex-nihilo, mais à partir d’une tradition forte.

Cependant, le terme de relance de traditions pose problème. En effet, on ne retrouve pas trace, dans les traditions, de fêtes consacrées à la transhumance. Cette manifestation n’est donc pas une reprise d'une tradition festive, mais bien une invention qui se nourrit d'éléments techniques, sociaux et culturels puisés dans le passé. Les formes et le contenu de ce type de manifestations sont liés aux enjeux contemporains.

A Die, grâce à la fête, la transhumance est l’objet d’une patrimonialisation culturelle, dans le sens où, du rang de pratique agricole, elle devient élément du patrimoine culturel universel. Ce nouveau statut est censé être protecteur pour sa survie.

2.2 / La fête comme outil de développement

Comme nous l’avons déjà souligné, le Diois est en cours de restructuration. Il a notamment un nouveau rôle de lieu d’attraction de nouvelles populations. Il s’y met en place à la fois de nouvelles modalités de rapport entre urbanité et ruralité, mais aussi de nouvelles procédures de recomposition sociale en matière de mélange de population, de redéfinition des territoires, de construction d’une culture commune.

Dans ce contexte, cette fête a tout d'abord, semble-t-il, contribué à ranimer le souvenir de la transhumance, comme élément d’une culture populaire. Cet aspect patrimonial, qui avait tendance à être oublié, semble avoir été réapproprié avec plaisir par la population locale. Ce patrimoine rural a ici une place déterminante pour la population locale, car il lui permet de s’identifier, de se reconnaître, d’affirmer une identité spécifique. Il peut être un véritable facteur de cohésion sociale. Il a aussi pour conséquence de renforcer le poids du territoire.

Concernant les retombées économiques, dans le cadre de certaines fêtes centrées sur un produit (par exemple la fête de la clairette), il y a des retombées presque immédiates puisque le public déguste sur place, découvre des producteurs et prend des adresses. Il est plus difficile de mesurer l’impact d’une fête consacrée aux ovins.

Tout d’abord, elle a permis la création d’un premier poste permanent d’animatrice de la vie associative et culturelle (cf annexe n°2), pour l’association Drailles, en juillet 1998, dans le cadre du dispositif nouveaux services - emplois jeune. L’association partage le temps de travail de ce salarié avec d’autres associations de développement culturel : Clairette en fête , un éditeur d’ouvrages régionalistes ou lié au développement culturel rural "A Die" et Slow food « à table en Dauphiné ».

Ensuite, la valorisation touristique du patrimoine rural constitue un important facteur de pérennisation et de développement des activités du territoire. L’afflux de visiteurs contribue à dynamiser le commerce et l’artisanat local, à augmenter la vente de produits locaux, à remplir les lits touristiques. Ainsi, le samedi de la fête est le meilleur jour de l’année pour les commerçants de Die !

Depuis 1997, un élément est venu renforcer le rôle de développement. Les vignerons du Diois, réunis en un Syndicat, ont souhaité la création d’une fête de la clairette sur le même modèle. Portée par l’ensemble de la profession mais aussi par les commerçants, artisans, restaurateurs… Cette fête fut un grand succès.

Aujourd’hui, Die se retrouve en possession de 3 grandes manifestations doublées de trois salons du livre, qui élargissent sa saison touristique trop courte (juillet et août). On retrouve en ouverture, la deuxième quinzaine de juin, la fête de la transhumance, puis la fête de la clairette durant la première quinzaine de septembre, et enfin le festival Est-Ouest durant la deuxième quinzaine de septembre.

Cette activité culturelle concentrée et structurée a eu des répercussions aux alentours, par exemple sur les fêtes caprines de Crest et la vallée de l’Isère, autour d’un projet sur la noix.

De tels projets apparaissent comme un moyen d’augmenter l’offre touristique et contribuent à dynamiser et à rendre attractif le territoire. Cependant, ils n’ont pas été accompagnés de création de structures d’accueil, comme de l’hébergement et des salles de spectacles.

Aussi, aujourd’hui, un des points faibles de ces manifestations est l’accueil des visiteurs. Très vites, les hôtels, gîtes et chambres d’hôtes sont pleins. Les gens se replient sur les campings. Il en est de même pour les salles de conférences, limitées à 50 personnes.

Par ailleurs, se pose la question de la pérennisation de la manifestation. Il y a peu de renouvellement des bénévoles dans l’association, et peu de jeunes. Dés la deuxième année, l’association Drailles se penche sur les actions à mener pour pérenniser la fête à travers une structure permanente. L’idée naît de créer deux pôles d’interprétation des cultures pastorales méditerranéennes . Le projet échoue, mais les idées ont mûri et, aujourd’hui, le projet est en cours de réalisation à Saint Martin-de-Crau.

A Die, l’association Drailles, associée au réseau des éleveurs du diois, au musée Dauphinois, au district du Diois et à d’autres partenaires privés comme la cave coopérative de Die, imagine une structure de mise en valeur de ce patrimoine.

Le projet prendra la forme d’une maison de pays, de la transhumance et des ânes de Provence. Cette réalisation constituera un équipement structurant pour le Haut Diois, complémentaire du pôle clairette installé à Die. Il prévoit la création de 6 emplois, une fréquentation de 35 000 visiteurs par an et des prestations variées, avec des expositions et un centre de documentation (cf annexe n°3).

Ainsi, la fête de la transhumance, associée à d'autres évènements, a un impact sur le développement touristique et sur l'animation locale. Cependant, elle ne se limite pas à ces aspects et a également un rôle important au niveau agricole. De plus en plus, elle met en avant le rôle des éleveurs dans la gestion de l’espace et dans la production de viande de qualité.

3 / La clé du succès : De nouveaux enjeux entre monde agricole et société

Entre 1991 et 1993, sont apparues dans l’axe méditerranéen au moins 5 fêtes autour du thème de la transhumance. Elles se sont toutes reproduites annuellement depuis, avec succès. Cette nouveauté et cette durabilité du phénomène sont étonnantes. Et nous allons essayer ici d’analyser les éléments à l’origine de ce succès.

3.1 / Un intérêt croissant pour le monde agricole

A mesure que l'urbanisation avance, on assiste au retour d'un intérêt du public pour les choses de la nature et du monde rural en général. On peut considérer qu'un tel intérêt inclut différentes dimensions : le goût pour le passé rural , dans lequel s'exprime notamment le besoin d'enracinement et d'identité; le souci de la nature; l'intérêt pour l'agriculture et le monde agricole, dans lequel on peut trouver des motivations multiples, dont celles concernant l'alimentation et la santé. Pour illustrer cet engouement grandissant, on peut évoquer le succès des « produits fermiers », le développement de la fréquentation des exploitations par les citadins et, également, l’apparition plus récente des fêtes rurales, type fête de la transhumance.

Si l’espace rural est aujourd'hui l'objet d'un investissement rapide par les citadins à des fins multiples, pour l'agriculteur il reste un outil de travail avec des règles d'utilisation contraignantes. Cette situation est potentiellement très conflictuelle.

Par ailleurs, ce qui est demandé à l’éleveur, dans le cadre de ces nouvelles fonctions, et notamment sa participation à de telles manifestations, va bien au-delà de sa fonction « normale » consistant à produire des denrées alimentaires. Il ne peut donc s’impliquer que s'il y trouve des raisons motivantes.

La revalorisation de son métier est une des motivations à prendre en compte. Mais se pose aussi le problème de l'incidence économique de ces nouvelles relations entre monde agricole et société.

3.2 / Des difficultés de valorisation du produits à surmonter

L’élevage ovin, avec la vigne, reste un élément prépondérant dans l’économie agricole Dioise. Cependant, la baisse des prix de la viande, liée principalement à l’ouverture des marchés, est source de grandes incertitudes pour l’avenir de ce secteur. Malgré les aides importantes de l’Europe, la situation reste difficile et n’encourage pas l’installation de jeunes.

Depuis plus longtemps que d’autres secteurs du monde agricole, les éleveurs ovins ont intégré les diverses primes européennes dans leur revenu. Sans elles, la profession ne serait plus viable.

Cependant, conscients de leur rôle dans la lutte contre l’enfrichement et l’entretien des paysages, les éleveurs ne veulent pas devenir de simples « jardiniers de l’espace », dépendants des mesures agri-environnementales.

3.3 / Les bénéfices pour la profession

L’intérêt croissant de la population pour le monde rural se répercute sur la représentation des produits agricoles et sur leur valeur : il ne s'agit plus seulement de se nourrir dans les limites d'un budget. Il en découle un effet global de qualification du produit et de légitimation d'un prix à payer, qui bénéficie aux agriculteurs.

Lorsque aujourd'hui des agriculteurs entreprennent d'exploiter le gisement de curiosité qu'ils ressentent à leur égard, ce n'est pas pour se prêter à un simple échange de nature culturelle ou pour participer de manière « gratuite » à des opérations d'animation locale, mais bien, d'une manière ou d'une autre, pour défendre, promouvoir ou conforter leur activité, soit à une échelle locale, soit à des niveaux plus larges.
Leur motivation est économique, dans la mesure où elle concerne avant tout les sources de leurs revenus.

La FDO a aujourd’hui compris l’intérêt des manifestations tournées vers le grand public. Elle est aujourd’hui largement impliquée dans l’organisation et l’orientation de la fête de la transhumance.

L'élevage transhumant est avant tout une activité économique et les fêtes permettent de valoriser cette activité. « Cette fête est aujourd’hui un lieu privilégié et unique pour communiquer avec le grand public » explique Bastien Augier, animateur de la FDO.

Les agriculteurs détiennent ici un monopole, celui d’un actif professionnel, qui leur permet de négocier le contenu de la manifestation. Ainsi, la fête est devenu un lieu de valorisation : promotion des productions de pays, publication des travaux sur la transhumance, présentation des bergers et de leurs problèmes.

Cette manifestation montre la vitalité de ce secteur d'activité et de ce milieu social, son intérêt pour les objectifs de production, de maintien du tissu social et de préservation du milieu naturel.

Ainsi, le premier apport positif concerne la revalorisation du métier. Il est bien connu que, dans les sociétés rurales locales dites traditionnelles, le berger est un peu « le dernier des derniers » et son travail est souvent considéré comme un mineur et dévalorisant .

Le rôle de cette fête a été de faire comprendre la spécificité et la valeur du mode d'exploitation pastorale, ainsi que sa richesse écologique et culturelle, face à la montée des modèles agricoles intensifiés. Elle a donné à cette forme d'élevage une nouvelle légitimité. Jean Claude Christophe, berger, explique : «Tout d’un coup, on a vu des troupes de journalistes nous tourner autour, des écrivains écrire des livres sur nous.

On aurait jamais cru que des gens comme Villers, des scientifiques et des universitaires puissent s’intéresser à nous». Pour lui, et pour beaucoup d’autres « la fête de la transhumance a permis de faire connaître et de valoriser ce métier, mal vu par le grand public, mais aussi par les proches et nos propres enfants ».

A travers le travail du berger, tous les aspects de services et de nouveaux modes d'usage de la nature sont mis en avant : entretien de la nature, fourniture d'accompagnants pour les ballades, d'inspirations pour de nouvelles idéologie naturalistes…

Ainsi, la fête de la transhumance permet de faire connaître et valoir ces nouvelles fonctions concernant l'occupation du territoire et l'entretien des paysages, de justifier les aides qui semblent de plus en plus devoir s'y attacher, et de lutter contre les mises en cause à propos de l'environnement... Ces aspects constituent des éléments essentiels du nouveau statut en train de se construire pour l'agriculture au sein de la société.

De tels objectifs sont devenus très présents dans les préoccupations des organisations professionnelles agricoles depuis le début des années 1990, époque à partir de laquelle les anciennes manifestations violentes ont beaucoup cédé la place à ces opérations de charme. Le but recherché est de conforter les éleveurs les rapports d'opposition qu'ils entretiennent avec d'autres acteurs sociaux de la zone. L'élevage transhumant sert un peu de porte drapeau dans les questions des nouveaux rapports à la nature, d'utilisation de l'espace et de relations villes - campagnes.

D’autre part, le deuxième bénéfice pour les éleveurs concerne la valorisation de leur production. De plus en plus, la fête est axée sur le produit. Pour Bastien Augier, l’important est de trouver un équilibre dans le message entre les aspects liés à la gestion de l’espace et les aspects de production.

Pour 2004, le thème prépondérant sera la qualité de la viande. La conférence du samedi après midi portera sur le goût de l’agneau et plusieurs ateliers du goût permettront une sensibilisation du public (cf annexe n°4). Le point sera fait sur les différents labels qualité.

Ainsi, les éleveurs du Diois, qui pratiquent aujourd’hui presque tous l’estivage, ont compris l’intérêt de la fête de la transhumance pour la reconnaissance de leur activité et de leur production.

Conclusion

Basé sur une tradition agricole, la fête de la transhumance de Die, initiée par des acteurs culturels est, dans la forme, une innovation contemporaine. Elle est l'occasion d'une mobilisation de tout ce que les études scientifiques ont produit de réflexions et d'analyses à son sujet, d’une présentation de l’activité économique de l’élevage ovin, prolongée par les apports de la littérature et de l'image, le tout appuyé sur les productions musicales et esthétiques du monde pastoral lui-même.

Elle a donné à la transhumance un caractère de patrimoine culturel universel reconnu, contribuant ainsi à la sauvegarde de cette pratique, confronté à de nouveaux obstacles (marginalisation de l’activité par rapport aux productions intensives et restriction progressive des espaces de parcours due à l’urbanisation).

L’organisation et la pérennité de la fête de la transhumance dépendent de plusieurs partenaires :
- une profession dont l’espace de vie est en jeu ;
- des chercheurs en mesure d’expliquer les points d’équilibre et de rupture de ce groupe avec son espace ;
- des opérateurs culturels capable d’interpréter les connaissances, de les faire partager.

Après une longue phase de conflit, chacun a comprit l’intérêt d’une telle manifestation « grand public ». Aujourd’hui, cette fête pastorale est l’expression d’enjeux multiples, techniques, professionnels, sociaux, patrimoniaux, mais il semble que de plus en plus, à Die, les enjeux professionnels prévalent sur tous les autres. Le message de la profession a trouvé un équilibre entre rôle des éleveurs dans la gestion de l’espace et valorisation de la production.

L’utilisation de ce patrimoine local est également un atout dans la stratégie de différenciation du territoire. Il a eu sans aucun doute une influence sur la promotion du Diois et la revalorisation de son image. En ce sens, il doit être considéré comme une richesse et il constitue un fort potentiel de développement.

Du point de vue économique, la manifestation a permis d’augmenter le nombre de visiteurs et d’élargir la saison touristique. Cependant, cet impact est à double tranchant et le Diois souffre aujourd’hui des mêmes maux que le Luberon en termes de déficit d’immobilier et de problèmes liés au foncier.

Ainsi, la fête de la transhumance a eu de nombreux effets positifs sur le territoire, que ce soit vis à vis de la profession, de la population ou de l’attractivité du territoire. Il reste aujourd’hui, à inventer les moyens de contrôler les effets du développement touristique.

Sources

Entretiens
M. Jean Claude CHRISTOPHE, éleveur du Diois, Menglon.
M. André PITTE, Présidente de l’association Drailles, Die.
M. Bastien AUGIER, Animateur de la Fédération Départementale Ovine, Valence.
Bibliographie• MISSION DU PATRIMOINE ETHNOLOGIQUE, sous la direction de BROMBERGER Christian, CHEVALLIER Denis, DOSSETTO Danièle, De la châtaigne au carnaval, relance de traditions dans l’Europe contemporaine. Editions A Die, 2004, p 139.
• DRAILLES MUSEE DAUPHINOIS, De Crau en Vercors, une grande transhumance ovine, Editions A Die, 1991, p 155.
• NEYRET R., Le patrimoine atout du développement, Presses universitaires de Lyon, 1992.
• PITTE André, Le guide du Diois, Editions A Die, 1995, p 225.
• Textes réunis par TOUREAU Philippe, sous la conduite de MENU Denise et DUCLOS Jean Claude, A propos du patrimoine agriculturel rhônalpin, actes des rencontres du 13 et 14 novembre 1997 à l’espace Olivier de Serres, le Pradel, Mirabel (07), Complexe régional d’information pédagogique et technique Rhône Alpes – Section ingéniérie culturelle sous l’égide de la Draf et la Drac Rhône Alpes, 1998, p 95.
• LABOUESSE François, La construction de nouvelles relations entre monde agricole et société : une approche à partir de fêtes de la transhumance, Ruralia, Revue de l’association des ruralistes Français, http://ruralia.revues.org/document33.html, février 1998, p13.
Sites Internet
CENTRE DE MUSIQUES TRADITIONNELLES RHONE ALPES, Fête de la transhumance, entretien avec André PITTE, http://www.cmtra.org/entretiens /archivelettres/lettre25/transpitte.html
http://gat.univ-lyon2.fr/dess-dr/travetu/operations/transhumance/cdrbas_transhu.htm

Commentaires